mercredi 28 novembre 2007

Robins des Bois du 21ème siècle.



Le 23 novembre, le président de l’association Droit au Logement rencontrait enfin celui de la République française, Nicolas Sarkozy. L’objet de la discussion était de trouver une solution à la situation catastrophique des mal logés qui campaient dans la rue de la Banque, à Paris, depuis plus d’un mois maintenant. Des mal logés, en France, il y en a encore beaucoup, alors pourquoi cette fois ci, la lutte des malheureux a-t-elle réussi à aboutir ? Ces familles ont eu le courage de ne pas baisser les bras et de maintenir leurs exigences. Cette fois pourtant, elles ont bénéficié du soutien et de la présence hautement médiatisés de nombreuses personnalités. Carole Bouquet, Guy Bedos, Gérard Depardieu ou Bruno Solo, ils ont été nombreux à manifester leur indignation face à cette sombre facette de notre société.

Ces personnalités ont-elles réellement joué un rôle clef dans cette affaire ? Il est délicat de répondre à cette question, l’impact réel de leurs manifestations ayant petit à petit disparu de la majorité des supports d’information. Après une première quinzaine, forte en rebondissements et des échanges d’amabilités et de provocation entre ces Robins de Bois modernes et Madame Christine Boutin, la ministre du logement. Le débat a alors sombré dans des bassesses communicatives, les premiers reprochant à l’Etat de ne pas trouver de solution, les élus UMP ironisant sur le soudain intérêt des épargnés des duretés de la vie pour les plus petites gens.

Il semblerait pourtant que la lutte des mal logés de la rue de la Banque soit en voie de résolution. Les Français sont en général sensibles aux causes défendues par les personnalités qu’ils admirent. Le premier à avoir adopté cette politique humanitaire, c’était Coluche. Les Enfoirés remportent, année après année, un franc succès. Ils ont su réunir autour de la défense contre la misère un grand nombre de citoyens et ont réussi à donner de leur temps et de leur renommée à une noble cause. C’est peut être là le but que poursuivait Carole Bouquet et ses camarades.

On peut cependant se trouver en droit de se poser la question de la légitimité des discours de ces manifestants au grand cœur. Ces dernières années, la célébrité apportée par la réussite, dans quelque domaine que ce soit, le sport, la musique ou le cinéma, semble permettre aux têtes connues des médias une opinion capable de faire contrepoids avec celle d’experts en économie ou en sciences sociales. C’est le cas en France, mais également aux Etats-Unis et dans toute l’Europe. Depuis ce célèbre bodybuilder, coqueluche du grand écran devenu le grand patron de la Californie jusqu’à cette jeune boxeuse polonaise rejoignant, grâce à la force de ses poings l’assemblée de son pays, la réussite dans quelque domaine que ce soit semble pouvoir être un vecteur menant à une carrière politique.

On pouvait lire dans Les Enjeux : Les Echos, durant les élections présidentielles de 2007, la remise en cause de la légitimité de Monsieur Nicolas Hulot et de son pacte écologique. Comment une star du petit écran, connue pour avoir explorer les régions les plus reculées du monde, pouvait-elle bien être crédible lorsqu’il s’agissait de parler d’économie nationale ? Il est facile de lancer de belles idées en matière d’écologie, mais les mettre en application à grande échelle pour un pays est une autre question. C’est du moins ce que semblaient plaider les politiciens français et occidentaux en général lorsque ces questions étaient posées. Pourtant, si Al Gorre a longtemps plaidé pour la rentabilité de l’écologie, c’est le combat du présentateur d’Ushuaia Nature qui aura fait basculer la France vers une politique plus verte. La notion d’ingérence politique était alors proposée par les rédacteurs du mensuel économique.

Le droit d’ingérence, le devoir d’ingérence, est un terme géopolitique précis. Il précise les obligations qu’ont les Etats de s’interposer dans la gestion intérieure d’un Etat souverain lorsqu’il s’agit de sauver des populations de désastres humanitaires majeurs. Cette idée, lancée voilà maintenant plus d’une dizaine d’année par Bernard Kouchner, alors à la tête de Médecins sans Frontières, a suivi son chemin dans les esprits et si elle pose toujours de nombreuses problématiques politiques et diplomatiques, elle semble en grande partie acquise par les Nations Unies.

Peut on alors étendre cette notion à la politique ? Les politiciens d’un pays peuvent ils prétendre à une quelconque notion de suprématie en matière de décisions et de réflexions politiques ? La réponse semble évidemment négative. De toutes les manières, les citoyens de nos pays semblent apprécier d’avoir des têtes connues pour encadrer leurs dirigeants politiques. Si l’on prend l’exemple de la France, la confiance du peuple en ses partis politique semble s’amenuiser à mesure que les présidents se succèdent. Pourtant, ils sont hunanimes lorsque des personnages supposés apolitiques comme Nicolas Hulot leur présente la cause de l’environnement.

Ingérence ou non, crédibilité ou pas, tous les candidats aux élections se sont vus dans l’obligation d’adhérer au pacte environnemental du présentateur de télévision. Sa cause a abouti et l’on est largement en mesure de s’interroger sur la forme qu’aurait emprunté le grenelle de l’environnement si Nicolas Hulot n’avait pas fait tant parler de lui pendant les présidentielles.

On est également en droit de se questionner sur la forme qu’auraient pris les négociations pour solutionner la situation des mal logés de la rue de Banque si toutes ces personnalités ne les avaient pas soutenus.

Le monde du « show business » et celui de la politique semblent étroitement liés de nos jours. Un candidat en campagne s’entoure de musiciens, d’écrivains, de chanteurs et d’acteurs. Les causes doivent être défendues par des célébrités, comme s’il s’agissait de vendre des biscuits ou une célèbre marque de restauration rapide, le bénévolat associatif doit à présent être représenté par des personnalités. Le gouvernement lui-même doit faire travailler de grands noms du sport, Bernard Laporte passant du stade de sélectionneur d’équipe nationale de rugby à celui de secrétaire d’Etat.

Quoi qu’on en dise, les Français se réjouissent des résultats du pacte écologique au moins autant que les Californiens apprécient la politique de leur gouverneur aux muscles saillants. Les combats du futur s’inspireront certainement de cette méthode de communication. Nous verrons peut être en 2012 des pactes pour le logement, pour l’insertion sociale ou pour la libération du Tibet. S’ils sont défendus par des personnalités suffisamment charismatiques, ces projets pourraient alors devenir ceux de l’ensemble de la classe politique. Ce n’est peut être pas si illogique finalement dans un monde où la communication et les médias prennent un rôle toujours plus important.

dimanche 4 novembre 2007

L'abus de bavures est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.


Bagdad. Les fusillades, les bombes, les morts, tout cela fait partie du quotidien de ses habitants. Le 16 septembre 2007, un convoi américain traverse la ville, protégé par une équipe de contractants de BlackWater, des agents de sécurité privés spécialistes des missions de protection dans les pays en guerre. Un véhicule déboule d’une ruelle, les gardes du corps ouvrent le feu. Le conducteur abattu sur le coup, la voiture continue sa route droit vers la caravane. L’ensemble de l’équipe tire à volonté, abattant 17 personnes, en blessant 24 autres, des civils. Fatigué de ce genre de dérapages, le gouvernement irakien exige l’expulsion immédiate de la société américaine. Le 19 septembre, le premier ministre, Nouri Kamal Al Maliki dénonce le 7ème incident de ce type. BlackWater a en réalité été impliqué dans 195 fusillades depuis 2005. Le soir de Noël 2006, un de ses employés avait déjà fait scandale quand, ivre, il avait abattu un garde du corps irakien. Pourtant, la société de sécurité était de nouveau sur le terrain quelques jours plus tard.

Le débat est relancé autour du nombre et des conditions de travail des centaines d’agents de sécurité qui travaillent aujourd’hui en Irak sous contrat pour l’Etat américain. En 2006, 181 entreprises embauchaient des dizaines de milliers d’hommes et de femmes sur place, dont 48 000 directement dans des postes dangereux. La guerre devient un véritable marché et les controverses se multiplient. L’armée américaine est aujourd’hui incapable de se débrouiller seule et compte sur ces contractants. Ces derniers ont en effet de nombreux avantages sur leurs collègues de l’armée régulière. Ne dépendant d’aucune hiérarchie militaire, ils ont beaucoup plus de libertés et de souplesse dans leurs méthodes de travail. Les « cow-boys » parcourent l’Irak et n’hésitent pas à ouvrir le feu au moindre doute. Ils ne risquent pas la cour martiale. Lorsqu’un civil tombe parmi les dommages collatéraux, quelques dizaines de milliers de dollars suffisent généralement à étouffer l’affaire, souvent avec l’aide des officiels américains.

Une broutille en comparaison des centaines de millions que représente l’ensemble des missions qui ont été confiées par le pentagone aux sociétés de sécurité. Aux Etats-Unis, les liens économiques entre ces entreprises et le monde politique sont loin d’être subtils. BlackWater, pour garder l’exemple de cette société qui fait parler d’elle ces jours ci, a investi 12 millions de dollars dans la campagne de Monsieur Bush. En retour, le gouvernement ferme les yeux sur les bavures. Mais si le gouvernement irakien veut pouvoir prendre son indépendance, il doit pouvoir taper du poing sur la table, il semble que ce soit ce qu’il a fait suite à cette tuerie.

Le problème, c’est que ces agents de sécurité représentent le deuxième contingent le plus important en nombre en Irak, devant l’armée britannique. Difficile de réduire ce nombre sans créer une catastrophe. Surtout quand le peuple réclame le retour au pays des « boys », scandalisé par le nombre de morts. Encore que ce nombre ne comptabilise pas les soldats privés, qui viendraient alourdir encore le bilan. Plus de 1 000 morts et 13 000 blessés cette année.

Mais la solution miracle de ces mercenaires est en train de se retourner contre le gouvernement. Le 24 octobre, Richard Griffin, chef de la sécurité du département d’Etat démissionnait. Le Conseil d’Etat lève le ton. Les autorités internationales et irakiennes en particulier veulent des comptes. Les missions d’enquêtes menées suite à la fusillade de septembre ont estimé que les conditions de travail des agences de sécurité et les objectifs de leurs missions étaient beaucoup trop imprécis. Des contractants sont de plus en plus reliés à des scandales de prostitution, des fraudes et surtout des démonstrations de force inconsidérées. Les Etats Majors américains sont les premiers à regretter l’absence de régulation de ces armées privées. Comment maintenir le moral des troupes, déjà bien bas, quand ils voient ces privés travaillant dans des conditions beaucoup plus agréables avec des soldes beaucoup plus intéressantes.



L’impunité face aux nombreuses dérives devrait toucher à sa fin. La présence de contractants dans les murs d’Abou Ghraib vient d’émerger. Comment se fait il qu’aucun d’entre eux n’ait été mené devant la justice ? Le 23 octobre, des soldats américains abattaient au moins 8 civils, les prenant pour des fabricants d’engins explosifs. Ils risquent de finir leur vie en prison.

Tout cela aggrave l’ambiance générale sur le terrain car pour les irakiens, il n’y a pas de différence entre des soldats privés ou publics. Ce sont tous des américains. Les rancunes s’accumulent, augmentant les tensions entre le peuple et les forces militaires qui ne comprennent pas toujours l’hostilité de ces gens fatigués de se faire tirer dessus sur la route par des Occidentaux armés jusqu’aux dents.


Les contractants eux-mêmes se plaignent de ces déploiements superficiels. L’un d’entre eux, un ancien SAS anglais, John Geddes, décrivait dans son ouvrage Autoroute vers l’Enfer les dérives courantes. Il regrettait les vides juridiques et diplomatiques qui ouvrent la porte à ce gigantesque chaos et qui attire en Irak des sociétés de toutes tailles et de tous types. Certains groupes se déplacent dans de vieux camping car trafiqués avec des plaques d’acier. Déjà lors de son arrivée, des mercenaires professionnels et sérieux croisaient des fous de la gâchette.

C’est finalement un autre débat que ce drame soulève. Car si l’on trouve des hommes dangereux dans les rangs du privé, ils ne différent en rien des militaires qui perdent le contrôle face à la situation terriblement compliquée qu’ils vivent sur le terrain. Les motivations et la maîtrise de soi des gens travaillant en Irak sont autant de risques potentiels, que ce soit l’appât du gain ou le goût de l’aventure. Les méthodes de Monsieur Geddes sont très proches de celles des armées conventionnelles : une proximité avec les habitants et une discrétion permettant d’éviter les risques. Pour lui, d’immenses convois soutenus par des hélicoptères sont le meilleur moyen d’attirer les insurgés.

Des réglementations internationales devraient donc commencer à apparaître pour la gestion des contractants. A partir de ce moment là, ils pourront travailler sur place de la même façon que les militaires américains et les controverses devraient diminuer. Bien sûr, les débats sur l’origine des contrats, les conditions d’obtention de ceux-ci, les rapports avec les politiques resteront. Ni plus ni moins que dans n’importe quelle entreprise finalement. Il se pourrait alors que le nombre de soldats privés continue d’augmenter. Pour John Geddes, d’ici quelques dizaines d’années, ils pourraient même remplacer les troupes conventionnelles. Logique après tout, mieux vaut envoyer des volontaires formés, expérimentés et équipés au combat plutôt que de jeunes concitoyens désillusionnés ne sachant que faire de leurs vies. Leurs morts sont politiquement plus faciles à justifier.

Et la France dans tout ça ? Quelques anciens militaires rejoignent les rangs de ces entreprises. Les forces spéciales et la Légion Etrangère représentent des recrues de qualité pour ces sociétés. A quand l’envoi de groupes de sécurité privés pour le compte des ministères français ? L’évolution que craignent certains experts militaires vers des guerres totalement privatisées a peut-être bien commencé. Une armée professionnelle au nombre réduit et déployant des trésors de technologies de pointe et de compétences précises ne serait-elle pas un premier pas dans cette direction ? La France ne sera certainement pas parmi les premiers pays à suivre cette direction, le risque d’avoir des armées autonomes capables de refuser des missions représente un danger que le Pentagone ne semble pas considérer comme prioritaire pour l’instant.